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, Université Le Havre Normandie et Maxime David, Université Le Havre Normandie
Lancés en 1991 au Japon par Nintendo, les Pokémon ont déferlé en France en mars 2000, faisant de ce concept un phénomène de mode inédit dans les cours de récréation. La formule de base repose sur une promesse simple pour les utilisateurs : elle s’articule autour d’un jeu décliné sur différents supports appelant à la collection et à ses nombreux rituels.
Depuis 25 ans, la popularité du phénomène est entretenue par des lancements réguliers qui visent à étendre l’univers Pokémon autour de nouveaux supports, de nouvelles expériences et, bien sûr, de nouveaux Pokémon à capturer. On compte à présent 898 Pokémon. Autant dire que le célèbre slogan « Attrapez-les tous » constitue plus que jamais un véritable défi à relever pour les passionnés.
Ces innovations successives ont contribué à attirer les jeunes consommateurs, fidéliser les fans de la première heure, alimentant ainsi un dialogue intergénérationnel qui se laisse voir au sein des familles. En parallèle, de nouveaux adeptes ont été recrutés en mobilisant les ressources offertes par les technologies du numérique, faisant des Pokémon un phénomène dépassant la cible restreinte des gamers et des collectionneurs, générant même un nouveau marché au sein duquel certaines cartes peuvent se vendre plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Capitaliser sur les technologies numériques
L’un des faits marquants de ces dernières années, qui a redonné un nouveau souffle à la licence, est sans conteste l’arrivée du jeu Pokémon Go : un jeu accessible gratuitement, via une application à télécharger sur smartphone, utilisant un système innovant de réalité augmentée.
Là encore la formule proposée se veut simple : les joueurs sont invités à capturer des Pokémon dans les environnements qu’ils fréquentent, faire des combats pour prendre des arènes défendues par d’autres joueurs. Lancée en juillet 2016, l’application développée par Niantic a connu un vif succès, avec un pic de 28,5 millions d’utilisateurs dès le premier mois de commercialisation et des téléchargements évalués à 500 millions dans plus d’une centaine de pays.
L’ancrage numérique du concept a favorisé l’émergence de communautés d’utilisateurs qui prennent désormais en charge la communication dédiée à l’univers des Pokémon via les réseaux sociaux pour toucher de nouveaux consommateurs. Notons qu’au-delà du simple jeu, Pokemon Go a marqué un tournant pour la licence, mettant au cœur de sa proposition, la dimension sociale de l’expérience. Le jeu a cassé la barrière de l’écran, poussant les joueurs à se rencontrer, interagir et partager, mobilisant les principes déjà mis en œuvre sur la Gameboy.
Ainsi, il n’était pas rare durant les mois de juillet et août 2016, de croiser des centaines de jeunes dans les places, les parcs et les endroits stratégiques, rassemblés autour jeu. Des rencontres ont eu lieu, des amitiés se sont créées. Mais surtout, cette période marque la consolidation d’une communauté de marque au-delà des frontières du virtuel.
S’inviter sur les réseaux sociaux
La viralité qui se laisse voir sur le réseau social YouTube n’est sans doute pas étrangère à ce succès populaire, en particulier auprès des jeunes générations. En août 2016, le nombre de requêtes pour « Pokémon Go » sur YouTube a connu un succès historique, atteignant des dizaines de millions chaque jour. Le phénomène a pris une telle ampleur durant cette période, que les premières secondes du YouTube Rewind 2016, vidéo très attendue, publiée chaque année par YouTube qui reprend les temps forts de l’année sur la plate-forme, démarre par des YouTubers jouant à Pokemon Go.
Sur YouTube, la passion envers les Pokémon se traduit également par des chaînes incontournables. Parmi elles, l’une des plus connues en France est celle de DavidLafargePokemon, qui dispose d’une chaîne dédiée aux cartes à collectionner. Le YouTuber met en scène des ouvertures (des « openings ») de paquets (des « boosters »), de boîtes (des « displays ») contenant des dizaines de paquets.
De même, les YouTubers populaires chez les jeunes, comme « Michou », « Inoxtag » ou des streamers comme « Kameto » réalisent des vidéos d’opening cumulant des millions de vues. Les « featurings » (des vidéos réalisées à plusieurs YouTubers) se multiplient sur la thématique, chacun s’invitant pour partager un opening, souvent riche en partages et en émotions.
Enfin, si les macro-influenceurs et streamers assurent une forte visibilité aux Pokémon, il ne faut pas oublier les nombreuses chaînes de passionnés qui disposent d’un nombre d’abonnés plus limité mais qui contribuent en mobilisant les codes du numérique à amplifier les relations entre passionnés, en publiant quotidiennement des vidéos.
Les communautés d’utilisateurs, sources d’innovation
L’un des featuring les plus improbables de ces dernières semaines est une vidéo entre DavidLafarge et le rappeur Lorenzo. Ce dernier a invité le YouTuber spécialisé dans la niche Pokémon à découvrir une partie de sa collection personnelle, débutée dès l’enfance. Entre deux blagues potaches, Lorenzo raconte à quel point il est heureux de pouvoir réaliser une vidéo avec un expert reconnu. Le rappeur a réalisé des encadrements faits sur mesure contenant 15 cartes rares. Chacun des cadres est dédicacé, numéroté et illuminé par un système de LED, témoignant de la créativité suscitée par les cartes chez le rappeur et de son désir de produire de la valeur.
Sur la vidéo YouTube, Lorenzo indique que ses cartes sont en vente sur eBay et invite les internautes à se rendre sur la plate-forme pour les acquérir. Toutes les cartes ont été achetées en moins d’un mois pour un montant de 300 000 euros, témoignant de la dimension symbolique, voire sacrée, de ces produits, pourtant commercialisés à grande échelle, chez les initiés.
Ce rapide tour d’horizon des Pokémon souligne que ce succès ancré dans un temps long tient sans doute au fait que ce concept s’est toujours renouvelé sans jamais dénaturer sa promesse : produire du lien social en mobilisant les ressorts du jeu, de la collection puis du numérique, légitimant ainsi l’assertion de Bernard Cova dans son ouvrage paru en 2004 « le lien plus que le bien ».
En ceci, les Pokémon valident les approches développées par le courant de la Consumer Culture Theory (CCT) qui analyse la consommation comme une production culturelle créatrice de sens, de valeurs et d’interactions sociales. En ces temps de crise sanitaire où notre rapport à la consommation est fortement questionné, les Pokémon, ces petits objets anodins devenus sacrés pour certains, nous rappellent combien consommer est une activité complexe.
Pascale Ezan, professeur des universités – comportements de consommation – alimentation – réseaux sociaux, Université Le Havre Normandie et Maxime David, Chercheur en marketing, Université Le Havre Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.